Pister les virus dans la nature sans cage ni seringue
Publié par IRD Occitanie, le 19 décembre 2025
Christelle Butel, responsable technique du laboratoire de confinement de niveau 3 (P3) de l’unité TRANSVIHMI.
« Ici, je récupère un échantillon de fèces de grand singe, congelé à -80 °C, pour l’analyser. Nous en conservons ainsi une collection unique au monde de 13 500, ainsi que 300 guanos de chauves-souris. Ces prélèvements non invasifs proviennent de la faune sauvage et ont été récoltés dans plusieurs pays, au Cameroun, en République démocratique du Congo et en Guinée notamment. Ils sont précieux, car ils constituent une véritable banque biologique, essentielle pour étudier les virus qui circulent dans la nature, sans avoir à capturer ni blesser les animaux.
Pour travailler en toute sécurité sur ces échantillons, j’utilise un poste de sécurité microbiologique,
dans un laboratoire de confinement de niveau 3, spécialement conçu pour
manipuler des agents potentiellement dangereux. En outre, j’enfile une
combinaison, un masque et deux paires de gants.
Je décongèle
l’échantillon, puis je le lyse : les cellules sont détruites, les virus
inactivés. Le risque biologique disparaît. Je peux alors extraire les
acides nucléiques, autrement dit la carte génétique des virus que
l’animal pouvait héberger.
Décoder la carte génétique des virus
Vient
alors l’étape du séquençage à haut débit, ou NGS (Next Generation
Sequencing). Ces technologies permettent de lire simultanément des
milliers de fragments d’ADN et d’ARN : en quelques heures, je découvre
la diversité virale présente dans un seul échantillon.
Certains virus
sont connus, d’autres rares, d’autres encore totalement nouveaux. Le
NGS offre une vision complète et rapide des virus qui circulent dans la
faune sauvage — un atout majeur pour anticiper les risques de
transmission à l’humain.
Le séquençage nous permet également de
vérifier l’espèce dont provient l’échantillon et d’identifier les
individus afin de suivre les animaux.
De la forêt au séquenceur
Ces
échantillons racontent une histoire. Grâce à la même approche non
invasive, notre laboratoire a autrefois retracé l’origine du VIH. Ainsi,
en analysant les fèces de chimpanzés et de gorilles du Cameroun et de
République démocratique du Congo, nous avons montré que le virus du sida
provient de virus simiens infectant naturellement ces grands singes. Le
VIH a franchi la barrière entre espèces lors de contacts avec l’humain,
notamment pendant la chasse ou la préparation de la viande de brousse.
Aujourd’hui,
nous poursuivons ce travail sur d’autres virus, comme les coronavirus
des chauves-souris, pour comprendre leur diversité, leur évolution et
leur répartition géographique. L’objectif est d’évaluer le risque de
futures transmissions zoonotiques.
Une recherche partagée
Car
les zoonoses, ces maladies qui passent de l’animal à l’humain,
représentent près de 70 % des maladies infectieuses. Les techniques
développées dans notre laboratoire de Montpellier pour les prévenir en
étudiant les virus de la faune sauvage — extraction à partir
d’échantillons non invasifs et séquençage de génomes viraux — sont
aujourd’hui transférées à nos partenaires du Sud. Elles leur permettent
de surveiller sur le terrain les maladies émergentes, de détecter
rapidement de nouveaux virus et d’alerter les autorités sanitaires si
nécessaire. En ce sens, j’ai contribué à l’installation de laboratoires
de biologie moléculaire et de plateformes NGS en RDC, en Guinée, au Togo
et au Bénin.
Cette recherche, à la croisée de la santé humaine, animale et environnementale, incarne l’esprit One Health : une seule santé pour un monde vivant et interdépendant. »
Olivier Blot, IRD le Mag'
Contact : Christelle Butel, TRANSVIHMI (IRD/Inserm/Université de Montpellier)
Source : https://lemag.ird.fr/fr/pister...
